samedi 21 juin 2008

Perdre son temps

Pendant un stage, beaucoup de bla-bla...

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« NOUS NE SOMMES PAS aux Alcooliques anonymes. Il n'est pas question de tomber dans la psychologie de groupe ou de vous faire la morale. » Limoges (Haute-Vienne), un vendredi. Le stage de récupération de points Actiroute à 250 € les deux jours vient de commencer. La salle est minuscule, l'ambiance tendue. Nous sommes seize, tous des hommes. Le tour de table débute, orchestré par une jolie formatrice de moniteurs d'auto-école et un psychosociologue aux faux airs de Jean-Marc Morandini. Chacun décline prénom, profession, nombre de points. Ils sont routier, chef d'entreprise, chauffeur de car et parcourent jusqu'à 150 000 km par an. Tous égrènent la liste des infractions qui ont fait fondre leur capital points. Il y a des ceintures non bouclées, des portables au volant, un peu d'alcool, mais surtout des excès de vitesse. C'est mon cas. Il m'arrive de rouler vite, certes, mais pas autant que Bruno*, notre champion toutes catégories. 200, 230 km/h : ses « scores » sont impressionnants. Dernière performance en date : 180 km/h sur le boulevard extérieur de Limoges, limité à 50. « Mon père a eu la gentillesse de se dénoncer à ma place. C'est lui qui est passé au tribunal. » Rires gras. Le psychosociologue est atterré. « J'adore la vitesse, admet Bruno. C'est peut-être une maladie... »
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« Franchement, j'ai mal vécu ces deux jours »
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Dialogues, questionnaires, pseudo-reportages vidéo, images de crash-tests : pendant deux jours, le stage s'écoule laborieusement. Beaucoup de bla-bla, bien peu de résultats. Beaucoup avouent qu'ils ne changeront pas leurs habitudes de conduite. « En fait, on roule tous vite et on en est fiers », me glisse mon voisin.
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L'alcool au volant ? Tout le monde s'accorde pour reconnaître que c'est dangereux. Le cannabis ? « Ça n'endort pas, ça aiguise les réflexes », ose Jean-Michel*, la trentaine. Le psychosociologue n'arrivera pas à le convaincre du contraire. A la fin du stage, il livrera le fond de sa pensée. « Vous n'êtes pas constructifs, vous ne voulez pas évoluer. Franchement, j'ai mal vécu ces deux jours. » Il n'est pas le seul. Tout le monde repart de ce stage avec quatre points de permis en plus, mais l'impression d'avoir perdu son temps. Sur la route, rien ne changera vraiment.
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* Les prénoms ont été modifiés.
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Denis Carreaux
Le Parisien , mardi 17 juin 2008