vendredi 27 juin 2008

Les professionnels prennent la parole

Les chauffeurs de bus excédés
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ILS PROFITENT d'une courte pause avant un nouveau départ, mais pas un n'esquive le sujet. Lancez les machinistes de la gare du Nord sur la cohabitation des vélos et des bus sur la chaussée parisienne, ils sont intarissables. Ah ces vélos... leur bête noire ! « Ils ne savent pas rouler. Les Parisiens sont pressés et grillent les feux. Les autres, les touristes, roulent le nez en l'air sans savoir où ils vont. »
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Un an que ça dure, depuis l'apparition des Vélib'. On sent l'agacement chez ces hommes « pas méchants mais excédés », qui disent redoubler de vigilance. Alain de la ligne 42 : « Aux carrefours, j'ai pris l'habitude de regarder à droite et à gauche même quand je suis au vert. Si je vois que je ne peux pas doubler le vélo en toute sécurité, je reste derrière et j'attends. » Cette prudence n'est pas du goût de tout le monde. « On se fait engueuler par la direction, affirme Jean-Claude, sur le 38, car on ne fait pas les temps de parcours. Les régulateurs nous disent qu'on ne roule pas, les voyageurs du bus râlent. Un jour, un passager m'a demandé si j'allais suivre encore longtemps le cycliste qui roulait devant moi. »
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Depuis l'accident de la rue La Fayette (X e ), où une jeune violoniste de 34 ans a trouvé la mort le 2 mai dernier, écrasée par un bus - alors qu'elle empruntait un couloir interdit aux deux-roues -, une affiche a été placardée au dépôt. Elle rappelle aux chauffeurs « que, dans tous les cas, que le vélo soit en tort ou pas, c'est le véhicule motorisé qui est fautif ».

Kartic roule depuis six ans pour la Régie. Au volant du 43, il relie la gare du Nord aux jardins de Bagatelle. « Cela devait arriver. C'est tombé sur mon collègue mais cela aurait très bien pu être moi. » « Ce matin, à 8 heures, j'en avais deux trois devant moi qui descendaient peinards la rue La Fayette. Dans le couloir (NDLR : trop étroit) je ne peux pas les doubler, alors je reste derrière eux. Du coup je perds deux, trois minutes. Au final, au lieu d'avoir dix minutes de pause, vous n'en avez que deux. A force d'accumuler, un tour, deux tours, trois tours sans pause, entre la clientèle énervée, les cyclistes qui vous insultent, les taxis qui se garent au milieu, les scooters qui déboulent, vous pétez un câble. Et là, le premier qui vous coupe la route, vous l'insultez. »
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Un machiniste invite à le suivre, pour une preuve en image. Boulevard Haussmann (IX e ), une frêle silhouette zigzague entre les files, double par la droite, coupe la route du bus, se rabat subitement. « Et sa main, elle sert à quoi ? », peste le chauffeur. Rue de Châteaudun, un vélo déboule par la droite : « Il a grillé un feu, avec un baladeur sur les oreilles, bravo. » Mais la palme ce matin-là est détenue par un jeune homme qui remonte le couloir La Fayette - non autorisé - en sens interdit, pile brusquement, fait demi-tour à l'endroit même où a eu lieu l'accident le mois dernier... pour saluer un ami alors que le bus 26 arrive en face.
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En deux heures, seuls deux cyclistes ont respecté un feu, au carrefour de la place Saint-Augustin. « Ils font les innocents, regardez, il y a deux policiers derrière. »
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E.C. Le Parisien , mardi 24 juin 2008